100 ans de solitude de Gabriel Garcia Marquéz, Pourquoi le lire?

100 ans de solitude est un de ces romans qui presque tout le monde connaît par nom, même s’ils ne l’ont jamais lu. Il appartient à ces œuvres artistiques qui, à cause de sa renommée, sont exagérément aimées ou haïes. D’œuvres – et des artistes – telles que La Joconde, les impressionnistes, Wagner, Frida Khalo, les Beatles etc., que les connaisseurs sont dans l’obligation de minimiser parce que parfois le «buzz» autour de ses œuvres dépasse ces qualités, et parfois parce qu’il faut simplement démontrer que nos connaissances et notre sens aigu de bon goût artistique nous mettent par-dessus la mêlée ; du genre :

« Moi apprécier un ouvrage vénéré par tous, en plus du genre fantastique, qui a influencé Michel Tremblay et qui a été choisi comme le livre du mois dans le club de lecture d’Oprah Winfrey. Jamais ! »

Mais quoi qu’il en soit, Cent Ans de Solitude possède des valeurs littéraires, historiques et artistiques indéniables et reste un roman dont la lecture est essentielle.

Gabriel García Márquez

Donc, quels sont les motifs valables et véridiques pour lesquels il faut absolument lire Cent Ans de Solitude?

Cent Ans de Solitude (Cien Años de Soledad) a été publié en espagnol en 1967. Il s’agissait du quatrième roman de l’écrivain et journaliste colombien Gabriel García Márquez après les romans : Des feuilles dans la bourrasque (La Hojarasca) de 1955, Pas de lettre pour le colonel (El colonel no tiene quien l’escriba) de 1961 et La Mala Hora de 1962.

Cent Ans de Solitude aurait écrit après les recueils des nouvelles : En este pueblo no hay ladrones (sans traduction au Français) et Les funérailles de la Grande Mémé (Los funérales de la Mamá Grande) tous les deux parus en 1962.

Cent Ans de Solitude a été aussi publié après d’autres romans phares du Boom Latino-américain : La Plus limpide région et La Mort d’Artemio Cruz de Carlos Fuentes ; Marelle de Julio Cortázar et de La ville et Les Chiens de Mario Vargas LLosa. Cent Ans de Solitude serait venu boucler la boucle et, en quelque sorte, éclipser les autres. En ce sens, Cent Ans… serait devenu tout un phénomène littéraire et pour bien saisir l’ampleur de son envergure il faut comprendre sa genèse.

Jusqu’à ce moment-là, García Márquez n’avait écrit que des romans plutôt naturalistes qui essayaient de présenter la réalité colombienne en s’inspirant profondément par son vécu d’enfant. Son premier roman, Des feuilles dans la bourrasque, raconte l’histoire d’un colonel à la retraite qui essaie de donner des funérailles en due forme à un impopulaire personnage qui aurait vécu chez lui. Le roman se déroule, la plupart du temps, dans la chambre ou la dépouille se trouve, et ceci selon la perspective des trois personnages principaux : le Colonel, sa fille Isabel et son enfant. Le roman tient à ce qu’il relate un fait anodin d’une durée très court temps, une demi-heure, mais qui s’élargit grâce à la maitrise narrative de Gabo (comme tout le monde, avec la permission de l’auteur Colombien, le nomme en Amérique Latine) pour exprimer le point de vue des trois personnages sur la mort, le passé, le deuil, le regret, le poids des mœurs et des habitudes populaires.

Dans son deuxième roman, Pas de lettre pour le colonel, García Márquez aborde encore une fois la problématique du lourd poids du temps passé et du regret des décisions prises, car le personnage principal, encore un colonel (le grand-père de Gabo en était un), qui attend, depuis des années, une lettre du Gouvernement en lui avisant que, enfin, il va commencer à recevoir sa pension de vieillesse.

Gabriel García Márquez

Le troisième roman, La Mala hora, se passe aussi dans un village colombien sans nom dans lequel des affiches, collées un peu partout sur les murs de la ville, exposent les plus profonds secrets des habitants de l’endroit. Pour plusieurs, il ne s’agit que d’une boutade sans conséquences. Cependant, à cause des affiches, un villageois va tuer le prétendu amant de son épouse. Alors, le maire du village déclarera la loi martiale et va envoyer l’armée pour rétablir l’ordre et, en passant, attaquer ses adversaires politiques.

Les influences

Dans ces trois romans, nous pouvons voir quelques traits que Gabo utilisera dans Cent Ans de Solitude : les sauts dans le temps et le fait de puiser dans son vécu d’enfance des caractéristiques humaines et des situations pour donner vie à ses personnages colorés. Tout ceci dans un réalisme plus proche du réel merveilleux de l’écrivain cubain Alejo Carpentier. Realisme qu’il commencera à peaufiner et à transformer avec les nouvelles du recueil, les Funérailles de la Grand Mémé et qui aboutira dans un réalisme magique découlant des œuvres du mexicain Juan Rulfo (Pedro Paramo) et de l’écrivain Guatémaltèque Miguel Ángel Asturias, (les Hommes de Maïs).

Cependant, il ne faut pas oublier la forte et indispensable influence que les écrits de James Joyce, de Kafka, et même de Dostoïevski (Le double) ont eu dans le façonnement de Cents ans de solitude.

Le Réalisme magique

Mais le choix d’utiliser le réalisme magique comme outil littéraire a ses assises dans le besoin d’exprimer des faits réels qui sont arrivés en Colombie et qui étaient si incroyables que García Márquez avait peur qu’ils soient pris par des créations de l’imaginaire; comme des créations littéraires. Donc, en utilisant le réalisme magique Gabo voulait démontrer l’immense irréalité de la stupidité humaine qui incessamment commet les mêmes erreurs historiques.

D’autres écrivains ont utilisé des artifices pareils pour présenter des problèmes qui leur étaient contemporains de façon allégorique, voilée ou mystifié, entre autres : Arthur Miller avec sa pièce théâtrale Les sorcières de Salem et Albert Camus avec La Peste.

En ce sens, le Réalisme magique chez García Márquez n’est ni superflu ni maquillage pour faire beau ; il s’agit d’une façon énergétique d’aborder des thématiques complexes tant au plan stylistique que littéraire et humain. Certes, après lui, le réalisme magique sera « volé », voire piraté par plusieurs écrivains qui voulaient, facilement, faire de romans à succès, façon d’embellir leur écriture.

La première phrase :

À maintes reprises, et je soupçonne dans plusieurs travaux et essais littéraires, la première phrase de Cent Ans de Solitude a été analysé, car il contient le noyau du style et du déroulement historique du roman :

Bien des années plus tard, face au peloton d’exécution, le colonel Aureliano Buendía devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l’emmena faire connaissance avec la glace.

D’abord, en tant qu’artisan, pour ne pas dire en tant qu’artiste, García Márquez a souvent déclaré l’importance de saisir le lecteur dès la première phrase. En outre, cette phrase contient l’aspect saccadé et non linéaire du temps dans le roman, ainsi que l’importance des relations familiales, des souvenirs et de la découverte de l’inconnu.

Capture aussi notre attention que le roman commence par un temps indéfini qui ne nous permet d’avoir une base temporelle claire : bien des années plus tard, plus tard par rapport à quoi? Où se situent alors l’axe pour bien définir le futur et le temps de la narration ? Par exemple, dans une étude écrite par Agustín Seguí, on peut voir que dans le premier chapitre García Márquez se promène dans le temps de façon apparemment désordonne et non linaire cinq fois :

En effet, dans le premier chapitre du roman, les pierres d’assise de l’histoire sont présentées – pierres qui étaient déjà présentées dans d’autres écrits que García Márquez, mais qui vont se consolider dans le roman à jamais:

  1. Que la mémoire pour García Márquez est hautement liée à la mort. Elle est le déclencheur des souvenirs et par conséquent – et paradoxalement – le souvenir, à son tour, empêche le mort, voire l’oubli ;
  2. Que la mémoire est quelque chose qui appartient autant à la sphère de l’individu que du collectif ;
  3. Que cette mémoire crée autant l’histoire – le personnel – que l’Histoire – la Collectivité ;
  4. Que la mémoire et l’H(h)istoire sont quelque chose qui nous transforme et qui se transforme, mais pas seulement en ce qui a trait à l’avenir, mais aussi au passé ; la mémoire et le rêve transforment le passé ;
  5. Que la mémoire est une affaire qui va au-delà de l’intellect en utilisant tous nos sens ; elle vit dans l’odorat, l’ouïe, la vue et le corps ;
  6. Que la solitude est question d’oubli, de manque de rêves et de manque du pouvoir de l’imagination, qu’un individu ou une société qui aurait oublié ou qui aurait perdu sa capacité de rêver est condamné à la solitude éternelle, comme la famille Buendía dans le roman.

Intertextualité

Comme nous avons dit dans notre billet sur le boom latino-américain, l’intertextualité était une des caractéristiques formelles des écrivains qui conforment ce phénomène littéraire. Cent Ans de Solitude utilise cette caractéristique formelle à outrance. García Márquez va jusqu’à inclure des phrases provenant du roman de Juan Rulfo, Pedro Páramo et des personnages des romans d’autres auteurs du Boom et d’autres écrivains comme Alejo Carpentier et James Joyce. Mais aussi, il mentionnera de personnages de son invention qui deviendront des figures centrales dans d’œuvres non publiées au moment de l’apparition de Cent Ans…, tel est le cas de Candide Erendire qui apparaît dans le roman que pour l’espace de quelques paragraphes sans mentionner son nom, mais qui sera la figure principale dans : l’incroyable et triste histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique.

Le politique dans 100 ans de solitude

Gabriel Gracia Marques était, et cela été bien connu de tous, un homme politique de gauche qui va défendre à jamais le régime castriste et que, tandis que d’autres auteurs latino américains, au fils du temps, vont se transformer en hommes de la droite, comme Mario Vargas Llosa, ou qui vont en occasions critiquer la gauche et le socialisme totalitaire (Carlos Fuentes, Octavio Paz, Jorge Luis Borges), lui,il restera fidèle à ses convictions de jeune homme.

Cependant, comme beaucoup d’analystes l’ont remarqué, Cent Ans de Solitude exprime une forte critique du pouvoir et des régimes de droits, et particulièrement du pouvoir des avocats, mais il s’agit d’un critique politiquement neutre. En ce sens, comme le dit bien Arthur Shattuck O’keefe :

l’élément politique dans le roman est une condamnation apolitique autant des abus du pouvoir que des façons dont parfois les régimes démocratiques essaient de répondre à de tels abus.

Pour García Márquez, la guerre n’a aucun sens quoiqu’il soit l’idéologie qui la déclenche.

Roman écologique

Comme tout grand roman, chaque génération en fait une lecture pour y puiser de nouvelles forces et, en même temps réinventer l’œuvre en question. De nos jours, des lectures écologistes de Cent Ans… émergent. Lectures qui contemplent le roman comme renouveau du désir d’être en contact avec la nature et une critique autant du post colonialisme que de notre excessif besoin de technologie dans le développement social.

Des nouvelles problématiques

Dans l’analyse littéraire de Cent Ans de Solitude paru dans le journal The Guardian en mai 2017, Sam Jordinson nous fait part des dires d’un des participants du groupe de lecture du roman :

J’ai arrêté la lecture après cent pages, trop mal à l’aise par rapport au viol conjugal, à la pédophilie et à la mort atroce d’une fille enceinte. »

Comme je disais dans le topique antérieur, dans chaque génération de nouvelles lectures du livre émergent et avec cela émergent des nouvelles questions et objections. Comme le dit Jordinson :

« ..Plus je considérais ce commentaire, plus il m’inquiétait. Il serait une véritable tragédie de mettre de côté un livre aussi intéressant (et souvent empreint de compassion) sur cette base. Mais, en même temps, il n’est pas possible d’oublier toutes les femmes violées, les mères abandonnées et les enfants maltraités du roman en tant qu’éléments inoffensifs dans un monde imaginaire. Simultanément, pouvons-nous aussi accepter tout le matériel supplémentaire avec ses prostituées heureuses, chaleureuses et bien traitées ? Et quoi faire de l’amusante fusillade des musiciens ? Peut-on peut-être dire que García Márquez a soulevé un problème politique concernant les mauvais traitements infligés aux femmes ? Devrions-nous lui accorder que tout ce matériel apparemment misogyne est contrebalancé par des représentations agréables de personnages féminins, forts tels qu’Ursula ? Pouvons-nous dire que les éléments désagréables du livre importent peu parce qu’ils ne sont pas réels ? Si nous admettons que le réalisme magique fonctionne comme un moyen de discuter de vérités dures, cela ne signifie-t-il pas aussi qu’il ne peut jamais être lu comme une simple fantaisie? Si tel est le cas, ce livre est-il toujours aussi charmant que les gens le disent ? Ou devrions-nous peut-être admettre que Gabriel García Márquez est parfois un peu effrayant aussi. »

Quoi qu’il en soit, dans le monde littéraire et visuel contemporain, des mondes fantastiques sont à la mode : des auteurs classiques comme Tolkien en passant par les nouveaux comme Rowling, sans oublier George R. R. Martin. Mais, Il faut se rappeler que la création de nouveaux mondes peut être plus que du divertissement : Atwood, Faulkner et García Márquez ont créé des magnifiques microcosmes pour nous faire voir plus efficacement la réalité qui nous entoure et pour que nous n’oublions pas le passé et l’histoire de l’humanité avec ses triomphes, ses revers et ses incroyables erreurs.

Gabriel García Márquez, lors de la cérémonie pour le Nobel de littérature

Pour finaliser, il ne me reste que vous proposer une citation de l’écrivain britannique Salman Rudhdie en relation à Cents Ans de Solitude après avoir été annoncé, en 1982, que Gabriel García Márquez était le récipiendaire du Prix Nobel cette année là :

C’est une des décisions les plus populaires des juges du Nobel depuis des années, d’avoir choisi un des rares véritables magiciens de la littérature contemporaine, un artiste dont la qualité exceptionnelle est de produire des œuvres de haut vol qui atteignent et ensorcellent le grand public. Le chef-d’œuvre de Márquez Cent Ans de Solitude, est, à mon avis, un des deux ou trois ouvrages de fiction les plus importantes et plus aboutis publiés depuis la guerre. »

Dans l’essai : Márquez le magicien.

García Márquez

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